(Les différentes biographies de mon héros étant parfois très contradictoires sur certains points, je vous livre ici un résumé des consensus qui semblent être les plus solidement établis parmi les plus sérieuses que j'ai lues; il y a peut-être de petites erreurs, mais je pense les avoir minimisées, et seul le Mage de Providence comme il se faisait appeler (rien à voir avec le Mage Allain) pourrait maintenant en attester...)
Howard Phillips Lovecraft est né à Providence (Etats-Unis) en 1890 dans la grande demeure de son défunt grand-père. Ses parents sont tous les deux envoyés à l'asile pour grave troubles mentaux à peu de temps d'intervalle alors que Lovecraft est encore tout petit (on retrouve chez certains biographes l'évocation de la syphilis). Aussi est-il finalement élevé par deux tantes (apparement l'une d'elle n'est pas une vraie tante mais une amie de sa mère).
D'une intelligence précoce, il apprend à lire très tôt et à cinq ans il absorbe déjà des ouvrages en latin et en grec qu'il lit dans le texte. A six ans il écrit sa première histoire (je l'ai lue, et même si l'intrigue est assez simple, la qualité du vocabulaire est étonnante pour son âge). Enfant solitaire et très calme, il préfère "piller" la bibliothèque de son grand-père plutôt que de jouer avec les enfants de son âge qu'il trouve agités et brutaux. Son ouverture sur le monde a ainsi été complètement conditionnée par ces lectures précoces, notamment par Les Mille Et Unes Nuits, lues à sept ans, qui semblent l'avoir profondément marqué : il s'invente le surnom Abdul Al Azred (qui deviendra plus tard le nom de l'auteur du Necronomicon dans ses nouvelles et sera décrit comme un poète fou quasi ominscient des mystères de l'univers) et se met à collectionner des objets d'art arabe. Curieusement Abdul Al Azred est une déformation de Abd Al Azrad qui signifie en arabe : l'adorateur du grand étrangleur (ou dévoreur), ce qui n'est pas sans rappeler le Grand Cthulhu qui sera sa création la plus célèbre !
Le jeune Lovecraft finit par être envoyé à l'école mais le contact avec le monde extérieur est un vrai désastre. Le petit Howard est tellement réservé qu'il évite ses camarades au maximum, et il ne supporte pas physiquement de quitter la maison familiale. En effet, la lumière lui est insupportable (les rideaux de la maisons sont toujours à moitié tirés pour permettre à l'enfant de s'y sentir à l'aise) et il supporte extrêmement mal le froid (son besoin de chaleur est un élèment récurrent chez ses biographes). Finalement il fait une dépression nerveuse précoce, et il est décidé qu'il ne pourrait pas suivre une scolarité normale.
Cette décision convient parfaitement au petit Howard qui engloutit tranquillement des livres de poésie, de grande littérature, et de science. Entre deux Shakespeare, il se passionne pour la physique et la chimie, mais l'une de ses expériences personnelles tourne très mal et il en sort indemne par miracle. Finalement c'est l'astronomie qui devient son domaine de prédilection. Il aime tellement ça qu'il finit par publier un petit journal qu'il distribue à ses voisins, et à douze ans, il a même l'honneur d'intervenir dans une conférence (apparement il devait être balaise pour son âge).
Après les Mille Et Une Nuits, son plus grand choc littéraire lui vient de Lord Dunsany via Les Dieux de Pegana, un ouvrage fantastique où l'auteur (considéré comme l'influence essentielle de Lovecraft) développe un panthéon inventé de toutes pièces (c'est l'une des caractéristiques principales de l'oeuvre de Lovecraft). L'adolescent, échauffé par toutes ses lectures, finit par prendre sa décision : il sera écrivain.
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Bien mal lui en prend. Malgré un style unique en son genre (tout en exagérations et en descriptions étranges) et des intrigues complètement démentes, Lovecraft ne plaît pas. On le prend pour un grand gamin avec ses histoires à dormir debout que personne ne comprend (je rappelle qu'il est actuellement souvent considéré comme le plus grand écrivain de littérature fantastique du XXe siècle...). Mais Lovecraft ne perd pas son enthousiasme (il était d'une modestie légendaire paraît-il) et continue d'écrire pour son plaisir en enchaînant des petits boulots très mal payés pour gagner sa vie (il a été entre autres gardien de cinema). Le problème c'est que la fortune du grand-père est presque épuisée et qu'il va vraiment falloir prendre le taureau par les cornes.
Pour la plus grande joie de Lovecraft, l'un de ses textes finit par être accepté par le directeur de Weird Tales, un pulp de seconde zone considéré dans les milieux intellectuels comme littérature pour ados décérebrés (c'est un peu comme si Perec pouvait enfin concevoir les points à relier de Pif gadget). La nouvelle (Dagon) a beaucoup de succès, et le magazine lui commande d'autres nouvelles. Néanmoins, la rémunération est minable et il n'y a là aucun décollage professionnel.
Le jeune homme continue donc ses petits boulots et s'acharne à pondre chez lui des oeuvres ridiculisées. Apparement, il aurait quand même traversé à cette période une déprime incroyablement profonde de plusieurs mois au cours de laquelle il aurait complètement décroché de la réalité, devenant une sorte de zombie humain en restant la majorité du temps au lit et remttant complètement en cause l'intérêt de sa vie. C'est vrai qu'il y a une zone d'ombre bizarre sur la période où il avait environ 25 ans que peu de biographes évoquent vraiment.
Toujours est-il que pour se sentir moins seul, il décide de correspondre avec d'autres auteurs amateurs et il fondent ensemble le Kalem Club. Cette initiative lui sera d'un secours remarquable car non seulement il va se faire connaître d'autres écrivains qui vont admirer son talent et son imagination jugée incroyable, mais de plus ses correspondances légendaires (100.000 lettres !) ne vont cesser de toucher un nombre croissant de personnes. Il signe souvent Ech' Pi' El (pour rendre bizarres ses initiales H.P.L). Ces relations peuvent être comparées avec des échanges virtuels via internet, à savoir que Lovecraft n'a rencontré ses correspondants face à face que parfois très tard (mais l'émotion mutuelle était du coup souvent très grande, si l'on en croit les témoignages). Les auteurs qu'il rencontre sont souvent surpris de se trouver faceà un homme très agréable et souriant, extrêmement accessible et humble (pour peu que l'on reste très conservateur car Lovecraft a des conviction très ancrées de ce côté-là !) alors qu'ils s'imaginaient rencontrer une sorte de sorcier fou et impressionant (une rumeur circulait même selon laquelle il avait des yeux de feu !). Tous s'accordent également à dire que c'était une encyclopédie vivante sur de très nombreux domaines. Néanmoins, ses bizarreries, quoique peu inquiétantes, ont beaucoup intrigué ceux qu'il a rencontré (il dormait souvent le jour et aimait rester debout la nuit en robe de chambre, il aimait les cimetières et les vieux quartiers croulants, il adorait manger des glaces et des sucreries de façon astronomique, il avait une phobie incroyable de la mer et des poissons au point que par exemple un jour, invitant un ami au restaurant et celui-ci commandant un plat de poissons, Lovecraft a du quitter la table et l'attendre dehors).
Certains de ses grands amis sont maintenant célèbres, et citent tous l'influence de Lovecraft qui a été extrêmement précieux pour eux via ses conseils, ses corrections et ses encouragements : Robert Howard (l'inventeur de Conan et l'un des pères de l'heroic fantasy), Robert Bloch (l'auteur de Psychose qui fut adapté au cinema par Hitchcock et qui est l'une des toutes premières histoires centrées sur une folie humaine), Clark Ashton Smith (l'auteur de Ubbo-Sathla, une super nouvelle que je vous conseille, surtout connu pour ses sculptures et peintures tourmentée), Frank Belknap Long (le génial inventeur des Chiens de Tindalos et de Chaugnar Faugn), ...
Pourtant, Lovecraft continue à être traité comme un nabot par les éditeurs. Il finit par gagner difficilement sa croûte en devenant nègre littéraire. Certains textes qui lui sont envoyés sont de véritables catastrophes, aussi n'hésite-t-il pas à les réecrire de A à Z. Malgré le fait que quelques clients soient des gens de la haute société qui épatent la galerie avec des oeuvres dont le véritable auteur n'est même pas crédité, Lovecraft est extrêmement mal payé, parfois pas du tout, l'idée de râler ne lui venant même pas à l'idée tant il reste poli et modeste en toute circonstance. A noter que l'un de ses clients fut le magicien Houdini, qui connut un certain succès à l'aide de Prisonnier des Pharaons, une nouvelle entièrement écrite par Lovecraft (on ne le sut que bien plus tard).
Vers 30 ans, il fait sa première rencontre amoureuse : Sonia Greene, une journaliste rencontrée dans un club littéraire. La femme (plus âgée que lui) a le coup de foudre, bien que personne ne comprenne pourquoi. Comme il est très réservé dès que l'on quitte le domaine purement intellectuel, elle fait tout le travail côté drague, et finit même par lui poser péniblement un baiser (ce qui, paraît-il, avait incroyablement choqué le jeune homme). Néanmoins, à force de persévérance et parce qu'elle plaît bien à Lovecarft quand même, ils finissent par se marier quelque temps plus tard (mais ne couchent jamais ensemble, Lovecraft s'y opposant fermement). Le couple déménage à New York ce qui va avoir un effet très bizarre sur un homme qui ne s'est quasiment jamais éloigné de sa petite ville natale.
Lorsqu'ils sont ensemble, Lovecraft est joyeux comme jamais et ils reçoivent même à l'occasion (ce qui aurait été inimaginable pour lui avant). Tous ses amis se réjouissent de ce changement heureux. Mais Sonia décide d'ouvrir un magasin, et Lovecraft se retrouve souvent seul, livré à lui-même dans la terrible ville tentaculaire. Une haine alors colossale s'empare de lui. Il écrit des textes terribles ouvertement racistes, qui dépeignent une ville en pleine déliquescence, un autrui à peine plus évolué qu'une amibe malodorante, ... En bref tout son mal-être d'enfance revient complètement décuplé dans une ville qui le dégoûte à cause de la terreur agoraphobique qu'elle lui inspire et il finit par demander le divorce (Sonia tentant de le raisonner) et par retourner à Providence.
L'aigreur de Lovecraft vis-à-vis de l'espèce humaine ne la quitte pas, et il écrit ses meilleurs textes où il vomit sa haine du monde, camouflée par des être colossaux et tentaculaires qui balayent des planètes entières, ou par des villes puantes dans lesquelles grouillent des hybrides d'humains qui complotent de sombres desseins. Son style et son imagination n'ont plus de limites : d'une part elle est alimentée par sa peur plus aiguisée que jamais, ce qui est un moteur pour l'apparition de situations toujours plus angoissantes, d'autre part étant une personne extrêmement rationnelle et intelligente, la conception de mondes délirants, rendus intelligibles par les mots, ne peut que s'agrandir pour pouvoir rester stimulante et continuer à lui échapper.
L'Appel de Cthulhu (sa nouvelle la plus célèbre) suscite l'admiration des écrivains qui lui sont proches, et les nouvelles qui suivront ne cesseront d'être encensées par son cercle d'admirateurs. Pourtant, les éditeurs continuent de le prendre pour un clown. Vivant dans la misère et littéralement rongé de l'intérieur, Lovecraft commence à avoir de sérieux problèmes de santé vers 45 ans. Il décide de le cacher à ses amis pour leur éviter de s'inquiéter.
Pourtant un jour où ses douleurs au ventre deviennent insupportable, il appelle à l'aide un médecin. Il meurt trois jours plus tard d'un cancer de l'intestin (je vous laisse deviner ce qu'il a dû endurer pour cacher ça à ses amis).
Quasiment personne ne viendra à son enterrement et sa modeste tombe portera l'inscription : "I am Providence".
August Derleth, l'un de ses plus fervents admirateurs, réussira une vingtaine d'années plus tard à faire connaître Lovecraft au grand public à force d'acharnement, en particulier en France où il est acclamé comme un génie au même titre qu'Edgar Poe. Certains de ses essais philosphiques et de nombreux poèmes ont été depuis ajouté à une oeuvre que l'on estime à une soixantaine de nouvelles et un roman.
Dim 16 Nov - 7:08